Photos de théâtre

Quand Raoul arrive dans l’enceinte du théâtre, je prends conscience d’emblée que le travail de répétitions prend fin. Les acteurs se laissent apprivoisés par ce tout premier regard. Ils sont tous forts et vulnérables, fiévreux à l’idée que le lendemain ils rencontreront le public qui va réagir à l‘ouvrage. Mais lui fait plutôt partie de l’équipe, il respire avec elle, devient le personnage invité, celui qui arrive quand tous les autres déjà sont en place. Rituel à la fois excitant et rassurant.

Nous délimitons ensemble le périmètre d’action dans lequel il peut faire évoluer son parcours à lui ; ensuite il s’installe dans les gradins, guette les allées et venues des comédiens, comme un animal, il observe, longtemps, lève la tête, balise d’un regard, les points de lumières qui éclaireront son travail.
Et puis lentement, silencieusement, sort délicatement de ses sacs en bandoulière ces objets qui vont capter l’air, les regards, les gestes, les corps, les lumières. Je suis toujours fascinée par la précision de ses gestes à lui, et la transformation qui s’opère quand son regard ne voit plus rien d’autre que la scène.
A l’affût du moindre geste, du moindre regard, il guette, s’approche de très près, scrute les corps d’acteurs investis par les secrets et les fantômes de leurs personnages. Ce sont eux qui leur voleront la vedette sur le papier glacé.
Libre, insoumis, on lui a permis de piocher là où bon lui semble ; alors il entame son corps à corps avec l’artiste, s’affranchit des cadres conventionnels, prend, attrape au vol avec l’amplitude d’un oiseau de nuit qui sait se rendre invisible.
En silence, à partir des autres, il fabrique sa palette d’images, trouve un cadre à une émotion, crée des lignes de fuite, fige un regard, entre dans la chair et la sueur de ces premières mises à nu. Il atteint par le dépouillement une forme de puissance qui saisit.
Au comédien, il fait réaliser que peut-être il n‘est rien au delà de son corps.
Au metteur en scène, il dévoile ce que lui-même n’avait sans doute pas encore vu.
Les clichés de Raoul, c’est toute une histoire, la nôtre, la sienne et celle de ces êtres de fiction qui nous racontent nos vies.
On le retrouve à chaque nouvelle saison théâtrale, au sommet de son art.

Le T. Rouge C. Javaloyès
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